Interview Redspark #3: De « Servir les Impérialistes » à « Servir le Peuple »

Pour l’interview de cette semaine nous avons parlé à Will, un ancien parachutiste américain (soldat de l’armée américaine) qui se décrit comme un ancien « chien de garde impérialiste » – c’est-à-dire quelqu’un qui a travaillé pour les impérialistes comme un chien, au service de leurs biens et les protégeant. Ses expériences en Irak en 2006-07 et en Afghanistan en 2009-10 l’ont amené à conclure que ce qu’il y a fait était au service des impérialistes et des capitalistes, et non de la classe ouvrière de n’importe quel pays. Le camarade Will a depuis travaillé avec la plupart des organisations américaines anti-guerre/pour la paix/anti-impérialistes et est aujourd’hui le directeur et fondateur de « The Peace Report« ; un portail en ligne d’actualités anti-impérialistes.

Redspark: Après t’être engagé l’armée américaine, tu as combattu dans les « guerres de ta génération », pour ensuite devenir pacifiste et militant pour la paix, pour t’opposer au militarisme et enfin à l’impérialisme. Dernièrement, tu as étudié la théorie et la philosophie communiste. Pourrais-tu nous dire le parcours qui t’a mené à ça ?

Je dois corriger ta question. Je n’ai jamais été pacifiste. Je croyais simplement à l’utilisation de stratégies non-violentes, auxquelles je ne crois plus. Ayant été dans deux guerres, j’ai connu la violence. Je préfèrerai ne jamais la revoir. Car si les stratégies non-violentes réussissaient réellement à changer la société, pourquoi choisirions-nous la violence ? Mais bien sûr, nous, communistes révolutionnaires, comprenons que ce n’est pas le cas. La « violence révolutionnaire » est une nécessité pour changer la société. Je comprends cela maintenant.

Quand j’étais dans l’armée, j’étais chrétien, conservateur et républicain. La plupart des soldats votent pour les républicains car le parti républicain augmente les salaires des soldats chaque année. Mais quand j’ai quitté l’armée, j’ai commencé à tout remettre en question. Mon premier déploiement (Irak) m’a fait me poser beaucoup de questions, mais je n’ai jamais trouvé de réponse à la question: pourquoi sommes-nous en Irak ? Qui combattons-nous ? Est-ce que ça vaut le coup ? Pourquoi les choses empirent-elles ? Est-ce que les gens en Amérique se soucient de ça ? J’ai continué à me poser ces questions par la suite, mais je n’ai jamais eu le temps ni les ressources nécessaires pour chercher les réponses. Mais quand je suis redevenu un civil et que je suis allé à l’université étudier la politique étrangère des États-Unis et son histoire, cela m’a vraiment ouvert l’esprit.

J’ai commencé par une question très personnelle pour moi (et personnelle pour des milliards de personnes): la religion. J’ai commencé à remettre en question le christianisme, particulièrement aux États-Unis. Après ma première année en tant que civil, j’ai rejeté la religion et suis devenu un militant athée. Je critiquais toutes les religions. Mais après tant de débats et d’amitiés brisées, j’ai compris que la religion n’était pas vraiment la question centrale. Alors, j’ai cherché ailleurs.

J’ai alors découvert « The Venus Project » (TVP): une organisation anticapitaliste qui défend l’idée d’une société des plus égalitaires et durables qui transcenderait les nationalités, les religions, la politique et la culture. Ils ont développé l’idée d’un monde idéal, le plus idéal qu’on puisse imaginer. Cela m’a aidé à comprendre les problèmes actuels du capitalisme et à imaginer ce qui serait possible à l’avenir. Cela me passionnait. Pendant plusieurs années, j’ai aidé à organiser localement pour The Venus Project des exposés, j’ai développé des vidéos éducatives et de la propagande. J’ai même rencontré le fondateur de TVP, Jacque Fresco, à trois reprises et l’ai interviewé à deux reprises.

Mais après de nombreuses années, j’avais de plus en plus de questions auxquelles TVP ne pouvait pas répondre. La question principale étant: comment pouvons-nous y parvenir ? Comment pouvons-nous transformer le monde d’une société capitaliste pourrie à une société meilleure où les gens seront aussi libres que possible tout en maintenant une économie durable ? Je me suis orienté alors vers l’anarchisme.

J’ai essayé d’étudier l’histoire de l’anarchisme, particulièrement aux États-Unis. Cela m’a inspiré et m’a conduit vers une voie révolutionnaire. Cela a répondu à beaucoup de mes questions. J’ai compris plus profondément les complexités du capitalisme. Mais encore une fois, j’ai commencé à avoir plus de questions auxquelles l’anarchisme ne pouvait pas répondre. J’avais surtout besoin de davantage d’exemples de renversement du capitalisme et de l’État pour créer un monde meilleur. Et quand j’ai cherché des exemples de sociétés anarchistes développant et maintenant cette société, je n’ai pas pu trouver beaucoup d’exemples – peut-être aucun.

Il y a deux ans, j’ai commencé à étudier le socialisme. C’était difficile. Il existe de nombreux courants socialistes et de nombreuses théories. J’étais seul et je cherchais dans un vaste champ de socialismes différents.

Je voulais examiner les exemples réels et concrets de renversement du capitalisme. La Révolution Chinoise m’a naturellement attirée parce que je suis d’origine asiatique (à moitié coréen) et que j’ai étudié la Révolution Chinoise dans une université bourgeoise de Californie. Ensuite, j’ai trouvé un camarade maoïste qui m’a guidé, répondant à presque toutes les questions que j’avais sur le socialisme, le communisme et le maoïsme. Cela m’a à nouveau passionné.

Le maoïsme m’a vraiment aidé à dépasser toute la fausse propagande à laquelle je croyais, en particulier d’un point de vue anarchiste. Les anarchistes mettent l’accent sur le combat contre la hiérarchie, alors que les sociétés socialistes nécessitent l’existence d’un État. Auparavant, je croyais que les socialistes étaient des personnes bien intentionnées qui s’étaient corrompues à cause de la hiérarchie, de l’État et de la bureaucratie qui les entoure. Le maoïsme, spécifiquement en étudiant les œuvres de Mao et la ligne de masse, m’a montré que les communistes pensent toujours à créer une société meilleure. Les maoïstes étudient les problèmes et leurs échecs antérieurs. J’ai vraiment été surpris de constater que les communistes, en précisément les maoïstes, ont à cœur de trouver un équilibre entre renverser le capitalisme et développer un monde qui fonctionnera pour tout le monde.

L’apprentissage du marxisme m’a vraiment aidé à comprendre le monde à travers une analyse de classes et la lutte des classes. Cela a aiguisé mes critiques et affiné mes études.

Le léninisme m’a aidé à comprendre ce qu’est l’impérialisme et la nécessité d’une avant-garde. Cela m’a également aidé à réaliser la nécessité de la révolution.

Le maoïsme m’a aidé à comprendre que la lutte de classe se poursuit sous le socialisme, mais cela m’a surtout prouvé que la révolution est une science. En outre, le maoïsme m’a montré que les communistes sont extrêmement concentrés sur la résolution des problèmes liés à une approche «descendante» dans la gestion d’un État socialiste. Les principes de la ligne de masse, les théories sur la pratique et la théorie, la théorie de Mao sur les contradictions, la stratégie militaire, les campagnes de rectification de masse, etc. – tout cela m’a attiré vers le MLM. Tous ces principes m’ont vraiment montré à quel point les communistes sont déterminés, pensent et luttent pour la libération.

Aujourd’hui, je suis marxiste-léniniste-maoïste et j’avance en suivant cette théorie et cette pratique.

Redspark: Pourrais-tu décrire en quoi tes idées sur la violence et l’armée ont changé et pourquoi ?

Auparavant, je voulais me débarrasser de toute la violence qui m’a été enseignée et que j’ai vécue dans l’armée américaine. Maintenant que je comprends le communisme révolutionnaire plus profondément, je me rends compte que la violence révolutionnaire est absolument nécessaire pour renverser la bourgeoisie. Les vétérans américains, après plus de 17 ans de combats, ont des compétences qui peuvent être utiles à la lutte des classes.

Les fusils, les grenades, le combat au corps à corps, les exercices de tir, la guérilla urbaine, la cohésion de l’unité, la discipline, etc. – toutes ces compétences et expériences peuvent être utilisées dans la lutte contre la bourgeoisie.

Mon point de vue sur la «violence» a changé lorsque j’ai réalisé que la non-violence n’aboutissait à rien, et que les communistes n’utilisaient la violence que parce qu’elle était nécessaire. Ce chemin n’est pas pris au hasard. Il a été développé à la fois par la théorie et par la pratique, et il a été prouvé correct par les dernières révolutions: la Commune de Paris, la Révolution Russe et la Révolution Chinoise. Puisque nous perdons littéralement du temps pour changer le monde à cause du changement climatique, nous avons besoin de solutions qui ont fait leurs preuves. Le MLM est la solution et il nécessite la violence révolutionnaire pour renverser la bourgeoisie.

Certains pourraient dire, mais pourquoi faut-il de la violence ? Si nous analysons correctement l’histoire, nous pouvons tirer les leçons des échecs de toutes les approches non-violentes pour nous débarrasser du capitalisme. Le réformisme est présent en Europe depuis plus de 100 ans et pourtant, le capitalisme existe toujours et menace le monde entier. Les prises de contrôle électorales comme celle d’Allende au Chili n’ont pas réussi à instaurer le socialisme. Les sociaux-démocrates ont suivi un chemin incorrect et n’ont finalement pas réussi à réellement se battre pour la classe ouvrière. Le prolétariat a essayé de démanteler le capitalisme par différents moyens, et toutes les méthodes non-violentes on échoué. Il est temps de prendre au sérieux la violence révolutionnaire pour renverser le capitalisme. Comme l’a dit Karl Marx, «la force matérielle ne peut être abattue que par la force matérielle».

Redspark: Parmi les maoïstes des pays impérialistes, l’étude de la théorie militaire suscite un vif intérêt, en particulier le concept de guerre populaire. Après avoir servi dans une armée bourgeoise et participé à une guerre impérialiste, quel est ton point de vue sur ce sujet ?

La plupart des troupes américaines n’étudient jamais la stratégie militaire. C’est généralement pour les officiers, alors que je n’étais que sous-officier. La séparation entre les troupes et les officiers est une forme de système de classe au sein de l’armée. Les officiers sont les commandants, ou, comme nous les appelons, des « gratte-papiers » parce qu’ils ne font jamais vraiment de vrai travail. Un peu comme un capitaliste par rapport à un ouvrier.

Je dirai cependant que les pays impérialistes, en particulier les États-Unis, disposent de puissantes armées. Les troupes sont bien équipées et obéissent à presque tous les ordres. Les troupes américaines tireront sans aucun doute sur des civils américains si ils ont on l’ordre. Je n’ai aucun doute la-dessus. Quelle que soit la stratégie développée ou suivie dans les pays impérialistes, les gens doivent comprendre ce point.

Redspark: Tu travailles beaucoup avec les vétérans aux États-Unis. Quel est leur potentiel révolutionnaire ?

Après chaque grande guerre de l’histoire des États-Unis, les vétérans ont toujours eu un potentiel révolutionnaire ou sont devenus révolutionnaires. Mais en ce qui concerne ma génération, les vétérans de l’Irak et de l’Afghanistan sont complètement différents. Je peux compter sur les doigts d’une main le nombre d’anciens combattants de ma génération qui sont devenus des révolutionnaires déclarés (des communistes). Mais j’aimerais expliquer pourquoi ma génération de vétéran est différente.

Les guerres en Irak et en Afghanistan ont été les premiers conflits majeurs à ne pas faire appel aux conscrits. Toutes les troupes américaines se sont «portées volontaires» pour leur service. Je dis «volontaires» entre guillemets parce que nous savons que les troupes sont d’origine pauvres et s’engagent dans l’armée principalement pour des raisons économiques ou pour recevoir des soins de santé pour elles-mêmes ou leur famille. Une autre raison est d’obtenir une éducation collégiale/universitaire gratuite. Et lorsque la classe ouvrière «se porte volontaire» pour le service militaire dont elle dépend, elle fera tout ce qui est en son pouvoir pour maintenir ces «avantages».

L’hégémonie de l’idéologie bourgeoise est vraiment forte dans ma génération de vétérans. Il est déjà suffisamment difficile de demander aux vétérans de remettre en question leur «service» et les guerres. Ces vétérans croient vraiment qu’ils ont rendu le monde meilleur. T’as déjà vu un vétéran américain se prononcer contre les guerres ? C’est rare, surtout si tu compares ça à la guerre du Vietnam.

L’un des principaux problèmes est que les vétérans intériorisent tout. Je crois que c’est dû au néolibéralisme. Bien que le néolibéralisme soit principalement une politique économique, il y a des répercutions culturels. Une de ces répercutions est de tout individualiser. Un grand nombre de vétérans rentrent chez eux, reconnaissent qu’ils souffrent du syndrome de stress post-traumatique et de lésion morale, puis ils se mettent à écrire de la poésie ou se suicident. Le taux de suicide chez les vétérans est extrêmement élevé, avec près de 20 vétérans qui se suicident chaque jour. En outre, les organisations communistes qui existent actuellement aux États-Unis ne sont pas vraiment attrayantes pour les anciens combattants. Cela demandera des changements radicaux pour organiser de manière révolutionnaires, et je pense que les vétérans restent des potentiels recrues. Les vétérans représentent une grande partie de la population américaine, près de 10%. Les vétérans ont de nombreuses compétences et la population américaine les respecte. Après avoir étudié l’histoire des États-Unis, j’ai constaté que les vétérans ont joué un rôle important dans les révoltes et les rébellions: la Rébellion de Shays, la Rébellion de Bacon, la Guerre des Mineurs, la Bonus Army, la mutinerie pendant la Guerre du Vietnam, etc. Le maoïsme nécessite d’appliquer ses principes universels à chaque situation concrètes. Et c’est comme cela que nous devons agir.