Analyse des classes de Norvège par Tjen Folkjet

Préface du groupe de traduction

Le texte est traduit du norvégien(en anglais) par des activistes pendant leur temps libre. La traduction est – comme toutes nos traductions – loin d’être parfaite. Nous souhaiterions recevoir des critiques et aider à corriger les erreurs ou à améliorer la traduction. Nous priorisons de terminer les traductions afin que les textes puissent être lus et utilisés par plus de personnes, plutôt que d’atteindre la perfection.

   Un militant, mai 2018

Un camarade a ensuite traduit cette analyse de l’anglais vers le français pour la Bibliothèque Marxiste, que nous publions également sur Redspark.

Préface originale

En 2011, j’ai rédigé une ébauche d’analyse des classes en tant que sujet de discussion pour Tjen Folket : « Les classes dans la société norvégienne » (non traduit en anglais, éd.). Cela avait des bons et des mauvais côtés.

Aujourd’hui, je pense que l’ébauche utilise incorrectement le terme lumpenproletariat, définit incorrectement le noyau du prolétariat et utilise trop d’espace pour la petite bourgeoisie tout en se focalisant trop peu sur le prolétariat, et ne se concentre pas sur les définitions des couches supérieurs, moyennes, et inférieures. Cette ébauche utilise également le terme «classe ouvrière» plutôt que le terme plus précis et plus exact «prolétariat». Par endroits, elle se révèle pour ce qu’elle est réellement : une ébauche d’analyse écrite pour lancer une discussion.

Je maintiens que le texte de 2011 a également de bons côtés, en particulier dans la description de la psychologie des différentes classes et groupes, mais que cette nouvelle analyse donne une description plus correcte de la façon dont les norvégiens sont divisés en classes aujourd’hui.

Le but de ce texte est de fournir aux maoïstes norvégiens une analyse de classe utile de la Norvège d’aujourd’hui. La tâche des communistes est d’organiser le prolétariat en tant que nouvelle classe dirigeante à travers la lutte des classes – et de prendre le pouvoir pour le prolétariat à travers la guerre populaire. L’organisation du prolétariat et le caractère de classe de l’organisation communiste ont été trop longtemps négligés par les communistes norvégiens. En conséquence d’une ligne droitière, une telle réorganisation a été « réservée » pour l’avenir. À mon avis, cela revient nécessairement à négliger le noyau même du maoïsme – le pouvoir politique au prolétariat.

Il est grand temps de corriger cette erreur. Il est grand temps que les communistes s’alignent directement sur notre classe, s’unissent à elle et la politisent, la mobilisent et l’organisent pour la lutte révolutionnaire contre le capitalisme.

Pour comprendre les profondeurs de ce qui a été négligé, les communistes doivent comprendre les classes, la lutte des classes et la tâche historique du prolétariat – s’abolir en tant que classe en abolissant pour toujours toutes les divisions des personnes en classes.

   Ragnar Røed, mai 2018

Introduction

La Norvège est une société capitaliste très développée et ce, depuis longtemps. Pour cette raison même, seuls quelques vestiges des classes pré-capitalistes subsistent, et ceux-là sont assez faibles. La structure de classe est donc plus ou moins la même que dans tous les autres pays capitalistes, où la production divise les peuples dans les deux camps en conflit, les deux classes les plus importantes du capitalisme : la bourgeoisie et le prolétariat. Outre ces deux classes principales se trouve la classe moyenne, la petite bourgeoisie. Ce sont les trois classes les plus typiques du capitalisme.

Notre analyse de classe doit prendre le maoïsme comme point de départ, car c’est le socialisme scientifique d’aujourd’hui. Le maoïsme est le marxisme de notre temps et c’est l’outil le plus pointu dont nous disposons pour dévoiler la réalité telle qu’elle est réellement. Le maoïsme n’est pas seulement scientifique, il a également un point de vue de classe. Comme toutes les autres idéologies, elle sert les intérêts d’une classe, mais c’est la seule idéologie au service du prolétariat, la classe ouvrière moderne. Le maoïsme est ouvert quant à son service au prolétariat, en contraste frappant avec toutes les idéologies bourgeoises et petites-bourgeoises qui tentent de cacher leur caractère de classe.

Le noyau du maoïsme est le pouvoir politique du prolétariat et, à sa base, le concept selon lequel la lutte des classes est le moteur le plus important du développement de la société. Comprendre la lutte des classes, ainsi que les classes elles-mêmes, est crucial pour savoir qui saisira le pouvoir, et qui sont nos amis et nos ennemis dans ce processus.

Principes pour l’analyse des classes

Au cœur des principes du maoïsme pour l’analyse des classes se trouvent les critères de Lénine pour définir les classes. Il écrit :

   Les classes sont de larges groupes de personnes, différentes les unes des autres par la place qu’elles occupent dans un système de production sociale historiquement déterminé, par leur relation (la plupart du temps fixée et formulée en droit) aux moyens de production, par leur rôle dans l’organisation sociale du travail et, par conséquent, par les dimensions de la part de richesse sociale dont elles disposent et de leur moyen de les acquérir. Les classes sont des groupes de personnes, dont l’une peut s’approprier le travail d’une autre en raison des différents rôles qu’elle occupe dans un système bien défini d’économie sociale.

Dans une préface au Manifeste communiste, Friedrich Engels écrit :

   La pensée fondamentale qui traverse le Manifeste, à savoir que la production économique et la structure de la société de toutes les époques historiques qui en découlent nécessairement, constituent la base de l’histoire politique et intellectuelle de cette époque; que … toute l’histoire a été une histoire de luttes des classes, de luttes entre exploités et exploiteurs, entre classes dominées et dominantes à divers stades de l’évolution sociale; que cette lutte a cependant atteint un stade où la classe exploitée et opprimée (le prolétariat) ne peut plus s’émanciper de la classe qui l’exploite et l’opprime (la bourgeoisie), sans en même temps libérer pour toujours l’ensemble de la société de l’exploitation, de l’oppression, de la luttes des classes …

Parmi les principaux exemples d’analyses des classes marxistes figure l’analyse des classes de la société chinoise par Mao Zedong. Il commence cette analyse en écrivant :

   Qui sont nos ennemis ? Qui sont nos amis ? C’est une question de première importance pour la révolution. La raison fondamentale pour laquelle toutes les luttes révolutionnaires précédentes en Chine ont été si mineures, c’est leur incapacité à s’unir avec de vrais amis pour attaquer de vrais ennemis.

L’analyse de Mao décrit les classes que l’on pourrait trouver en Chine, leur répartition en différentes couches sociales et leurs positions politiques, notamment en ce qui concerne leur position sur la révolution.

Dans le programme de l’AKP (ML)[1] résolu en 1976, le parti a écrit ce qui suit sur les principes de l’analyse des classes :

   L’analyse des classes doit répondre aux questions de savoir quelles contradictions de classes existent dans le pays, qui est la classe dirigeante réactionnaire et qui est la classe révolutionnaire en développement. Elle répondra également à la question de savoir quelles classes peuvent servir d’alliés à la classe révolutionnaire et qui sont ses ennemis. L’analyse des classes marxiste est une analyse scientifique et objective … Lorsque les révisionnistes modernes ont pris le pouvoir dans le PCUS, l’une des premières choses qu’ils ont faite a été d’attaquer l’analyse des classes marxiste-léniniste. Ils ont essayé d’effacer les lignes de division entre le prolétariat d’un côté et les couches inférieures de l’intelligentsia et la petite bourgeoisie de l’autre. Ils ont attaqué la thèse léniniste de l’union entre le prolétariat et les paysans travailleurs et ont plutôt souhaité travailler avec l’intelligentsia. Ils ont exagéré la contradiction entre la bourgeoisie monopoliste et non-monopoliste et ont souhaité présenter cette dernière comme un allié potentiel pour le prolétariat. Tout cela a un but. Il s’agit de nier au prolétariat sa prise du rôle principal et d’essayer de subordonner le pouvoir prolétarien à la propriété de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie. « L’analyse » révisionniste défend et renforce le capitalisme. Il en va de même pour les mêmes « analyses » révisionnistes proposées dans la «diction de gauche».

Engels, Lénine et Mao donnent des exemples de la manière dont notre idéologie a traité la question des classes et des principes sur lesquels les principaux théoriciens se sont fondés pour comprendre les classes et la lutte des classes. L’AKP (ML) donne des exemples de la manière dont les communistes norvégiens ont appliqué concrètement les lois universelles de l’idéologie aux conditions norvégiennes. Les classiques ainsi que l’AKP (ML) fournissent tous deux un point de départ naturel et correct pour notre propre analyse des classes aujourd’hui.

Pour comprendre les classes et la lutte des classes, nous devons partir des principes suivants :

  •     Apprendre des classiques du marxisme (c’est-à-dire du maoïsme aujourd’hui), étudier leurs analyses des classes et travailler en profondeur pour apprendre à utiliser leurs méthodes matérialistes dialectiques dans l’étude de la société et de l’histoire (matérialisme historique).
  •     Comprendre que les classes sont des divisions sociales de personnes dans de larges groupes historiquement déterminés, et que ces divisions sont le résultat de la production économique.
  •     Comprendre que les critères de catégorisation se fondent sur: (1) la relation des personnes aux moyens de production, (2) leur rôle dans l’organisation du travail, (3) les moyens par lesquels ils acquièrent leurs parts de richesse dans la société et (4) la proportion de ces parts.
  •     Révéler : (1) qui sont l’oppresseur et l’opprimé, (2) qui est la classe dirigeante réactionnaire et qui est la classe révolutionnaire dominante et (3) qui sont les amis et les ennemis de la révolution socialiste.
  •     Révéler : (1) les tendances les plus importantes du développement au sein des classes et (2) entre les classes, (3) comment elles se divisent en couches relativement supérieures, moyennes et inférieures et (4) qui constituent le noyau et les périphéries de chaque classe.

La tâche la plus importante pour nous aujourd’hui est de révéler et de comprendre qui est le noyau du prolétariat, car c’est le point de départ de la construction d’une direction révolutionnaire de la classe qui a la tâche historique d’abolir le capitalisme. Dans ce texte, je n’entrerai pas dans les détails sur ce point, car il s’agirait d’une discussion mieux adaptée à son propre texte.

À cet égard, le plus important est de savoir qui est l’ennemi principal parce que nous souhaitons maximiser son isolement. Enfin, il est également extrêmement important de comprendre les caractéristiques grossières dans le développement des classes: Quelles classes sont en croissance et quelles classes reculent ? Comment les différentes couches de chaque classe se positionnent-elles politiquement ? Qui sont les ennemis, qui sont les amis, et qui sont les indécis (centristes) ? Et qui constituent les différents groupes et pourquoi? – ainsi que la taille relative de ces groupes.

L’analyse des classes permet de comprendre la société, mais il est encore plus important de comprendre comment la changer. L’analyse des classes est un outil pour notre lutte, et elle est peu utile lorsqu’elle est appliquée à d’autres fins.

1. La bourgeoisie

La bourgeoisie norvégienne est née en partie du commerce et des artisans des villes et en partie des nobles et des agriculteurs aisés. La bourgeoisie est la classe capitaliste. Elle a mené le développement capitaliste et l’industrialisation et, avec son capital, elle a pu acheter des machines et construire des usines où elle pourrait employer la nouvelle classe ouvrière moderne : le prolétariat.

La bourgeoisie détient le pouvoir politique en Norvège. Elle l’a pris à travers une révolution bourgeoise avec plusieurs étapes et luttes, avec laquelle elle a finalement établit son propre État. Parmi les étapes importantes de cette révolution politique figurent la constitution de 1814 et la guerre contre le Danemark, l’introduction du parlementarisme en 1884 et la libération définitive vis-à-vis de la Suède en 1905.

La richesse de la bourgeoisie repose sur son pouvoir sur les moyens de production, qu’elle maintient souvent par des moyens de propriété avec lesquels elle peut exploiter le prolétariat. Elle peut engager le prolétariat et lui payer des salaires inférieurs à ce qu’elle obtient en vendant les biens et les services produits par le prolétariat. La bourgeoisie exploite le prolétariat en s’appropriant la plus-value et c’est la source même de l’existence et du pouvoir de la bourgeoisie.

Le noyau de la bourgeoisie est le monopole

Pendant longtemps, les armateurs formaient le groupe le plus puissant de la bourgeoisie norvégienne. Aujourd’hui, dans le capitalisme monopoliste impérialiste, le capital bancaire et le capital industriel, y compris les compagnies maritimes, ont fusionné dans le capital financier. À son tour, cela a fusionné avec le capital d’État, conformément aux tendances de l’impérialisme en faveur du capitalisme monopoliste et du corporatisme. Les monopoles publics et semi-publics sont souverains et constituent les plus grandes entreprises capitalistes norvégiennes, tandis que le pétrole et le gaz sont leurs secteurs les plus importants. La Norvège est un pays impérialiste et, à ce titre, le capital norvégien se développe grâce au pillage des autres pays et des peuples, ce qui s’applique notamment au capital des sociétés monopolistes et à l’État.

Les quinze plus grandes entreprises norvégiennes, en termes de chiffre d’affaires en 2017, sont Statoil / Equinor (pétrole et gaz), Telenor (télécommunications), Yara (engrais et produits chimiques), Norsk Hydro (aluminium), NorgesGruppen (distribution), DNB (banque), KLP (assurances, finance, immobilier), Reitangruppen (distribution), Storebrand (banque et finance), Sapa (industrie), Statkraft (énergie), Coop Norge (distribution), ExxonMobil Norge (pétrole et gaz), Orkla (industrie), Marine Harvest Norway (nourriture et boisson). L’État est l’actionnaire majoritaire de Statoil / Equinor, Telenor, Norsk Hydro, DNB et Statkraft. Les entreprises qui suivent ces quinze premiers rangs dans le top 100 des entreprises sont principalement dans le commerce de détail (magasins), l’énergie, le transport maritime et logistique, le bâtiment et la construction, la banque et la finance, l’industrie pétrolière et gazière, le transport, l’immobilier et les loisirs. Les membres du conseil d’administration effectuent généralement une rotation entre ces grandes entreprises et les politiques.

Le noyau de la bourgeoisie est constitué des plus grands propriétaires, avec des dirigeants et des bureaucrates au sein des plus grandes entreprises, organisations et organes politiques centraux. Le noyau se compose avant tout de (1) la couche supérieure de l’État, (2) le pétrole et le gaz, (3) la banque et la finance, (4) l’industrie, (5) le commerce de détail et (6) l’expédition de marchandises.

Il convient également de mentionner que les politiciens et les bureaucrates norvégiens occupent une place centrale dans de grandes organisations internationales telles que l’OTAN, l’OMS, le Conseil européen, etc. Le rôle de la Norvège dans ces organisations montre que la bourgeoisie monopoliste norvégienne est beaucoup plus puissante que ce que la population norvégienne pourrait laisser penser. Cela a beaucoup à voir avec ses grandes réserves de pétrole et son capital financier, ses investissements importants dans d’autres pays et l’abondance de l’activité internationale en général.

Le noyau de la bourgeoisie monopoliste se compose de quelques centaines de personnes qui exercent, au nom de la bourgeoisie monopoliste dans son intégralité, leur dictature de classe sur la Norvège et qui administrent l’exploitation et les guerres impérialistes contre d’autres peuples et pays. La bourgeoisie monopoliste ne représente pas plus de quelques milliers de personnes dans son ensemble.

Les contradictions et les partis importants de la bourgeoisie

L’ensemble de la bourgeoisie est beaucoup plus vaste et comprend tous les capitalistes qui ont un nombre quelconque d’employés – tous des managers et des dirigeants de la société – en premier lieu dans la production. La couche inférieure de la bourgeoisie est la bourgeoisie moyenne, qui emploie entre quelques dizaines et quelques centaines de milliers de travailleurs, ainsi que des patrons de niveau intermédiaire au sein de l’État. Les plus petits capitalistes n’appartiennent pas à la bourgeoisie, mais plutôt à la petite bourgeoisie et, dans une large mesure, doivent participer à la production tout en gagnant moins de parts sociales que les grands capitalistes.

Il y a des contradictions dans la bourgeoisie entre le capital d’exportation et le capital d’importation, entre le monopole et le non-monopole, entre le créancier et le débiteur, etc. Il existe également des contradictions entre la bureaucratie publique et les capitaux en grande partie privés, en particulier dans les secteurs de la distribution et du transport maritime. Pour la plupart, cependant, la bourgeoisie est complètement unie dans la défense et le développement de l’impérialisme et du capitalisme norvégiens, contre les masses du tiers monde, contre le prolétariat norvégien et contre les bourgeoisies concurrentes d’autres pays.

Les principaux partis politiques de la bourgeoisie sont Arbeiderpartiet [Parti travailliste, ci-après AP] et Høyre [le Parti conservateur]; La ligne politique que ces deux partis ont menée entre eux depuis la Seconde Guerre mondiale a représenté les intérêts de la bourgeoisie monopoliste dans la politique étrangère et intérieure. Avant la percée parlementaire de l’AP et la victoire complète du réformisme au sein du parti, Høyre et Venstre étaient les principaux partis de la bourgeoisie. Avant l’embourgeoisement de l’AP, celui-ci était le parti du prolétariat. Venstre était le parti du parlementarisme, le parti de la révolution démocratique nationale en Norvège, représentant les intérêts de la petite bourgeoisie et de l’aile libérale de la bourgeoisie. Aujourd’hui, il a été réduit à l’un des petits partis bourgeois et est plus que disposé à servir la bourgeoisie, mais seulement en tant que partenaire junior du grand parti.

Les principales tendances politiques au sein de la bourgeoisie

La bourgeoisie est réactionnaire et est ennemie inhérente au socialisme. Cependant, il existe toujours une forme de lutte à deux lignes au sein de la bourgeoisie, entre droite et « gauche », entre conservateur et libéral, entre bâton et carotte, entre répression dure et cooptation plus douce (achat de l’opposition), entre contre-réforme et réforme, entre despotisme fasciste et démocratie bourgeoise. Il y a une condition à la fois d’unité et de lutte entre ces deux lignes qui se complètent mais peuvent aussi se saboter.

La principale tendance politique de la domination bourgeoise en Europe à l’époque du capitalisme de marché libre (aux XVIIIe et XIXe siècles) était la démocratie bourgeoise libérale et les idéaux des Lumières. Cette idéologie contrastait fortement avec le colonialisme brutal exercé par la bourgeoisie européenne contre l’Asie, l’Afrique et l’Amérique latine, caractérisée par le terrorisme et le despotisme contre les peuples de ces pays.

Dans l’époque impérialiste (monopoliste) à partir de 1900, la tendance principale dans les pays européens était aussi plus despotique et réactionnaire, avec les mouvements fascistes et les juntes militaires, le sectarisme religieux et la militarisation de la société. De telles tendances ont également été observées en Norvège, ne serait-ce que dans une moindre mesure que dans la plupart des autres pays. Une aggravation de la lutte des classes conduira nécessairement à une répression fasciste plus sévère et à une montée des mouvements réformistes. Le fascisme et le réformisme ont été les deux outils les plus importants de la bourgeoisie pour empêcher le prolétariat de faire la révolution.

2. Le prolétariat

Le prolétariat norvégien fait partie du prolétariat international. Cette classe a pour tâche historique de s’emparer du pouvoir politique de la bourgeoisie et d’abolir pour toujours le capitalisme et toutes les sociétés de classe. En effet, la contradiction fondamentale du système capitaliste, en premier lieu l’économie capitaliste, se situe entre la production socialisée et l’appropriation privée et capitaliste. Friedrich Engels le décrit dans son texte Socialisme utopique et socialisme scientifique :

   Les moyens de production et la production elle-même étaient devenus essentiellement socialisés. Mais ils ont été soumis à une forme d’appropriation qui suppose la production privée d’individus, en vertu de laquelle chacun possède son propre produit et le commercialise. Le mode de production est soumis à cette forme d’appropriation, bien qu’il abolit les conditions sur lesquelles repose ce dernier.

Cette contradiction, qui donne au nouveau mode de production son caractère capitaliste, contient le germe de l’ensemble des antagonismes sociaux d’aujourd’hui.

De plus, il écrit que « la contradiction entre la production socialisée et l’appropriation capitaliste se manifeste dans l’antagonisme entre le prolétariat et la bourgeoisie ».

Pour être clair, cette contradiction fondamentale est l’expression résultante de la lutte de classe entre le prolétariat qui représente la production socialisée et la bourgeoisie, qui vit et existe sur la base de l’appropriation privée.

Développement du prolétariat norvégien

Le noyau de la classe ouvrière moderne en Norvège a pour longtemps été le prolétariat industriel. Ce noyau s’était constitué dans les usines de la bourgeoisie. Les prolétaires ont été endurcis par la discipline de la production industrielle. Ils ont été exploités dans la pauvreté profonde. Ils ont été rassemblés dans des collectifs massifs de centaines et de milliers de prolétaires. C’est là qu’ils ont organisé leurs syndicats, leurs coopératives, leurs sociétés et leurs syndicats.

La principale organisation du prolétariat, la plus haute forme d’organisation de la classe, est le parti du prolétariat. Plusieurs tentatives ont été faites pour construire le parti du prolétariat norvégien. Il y a d’abord eu AP en 1887, puis le Parti communiste de Norvège [NKP] en 1923, suivi du Parti communiste ouvrier (marxiste-léniniste) [AKP (ML)] en 1973. Ces partis, en particulier AP et NKP, étaient les plus forts parmi le prolétariat industriel, les métallurgistes, les travailleurs des chantiers navals, les travailleurs de l’industrie chimique, etc. – ainsi que parmi les plus pauvres du prolétariat et du semi-prolétariat, comme les travailleurs du textile, les forestiers et les mineurs.

Aujourd’hui, la structure de classe a changé. L’impérialisme place d’abord et avant tout sa production industrielle dans le tiers monde pour y exploiter le prolétariat local. Là-bas, la production se déroule dans des conditions semi-coloniales et semi-féodales qui permettent d’exploiter et d’opprimer le prolétariat de manière particulièrement sévère. Lénine a décrit cette tendance de l’impérialisme dès 1906, mais cette tendance a été retardée et partiellement annulée par les révolutions socialistes en Russie et en Chine, ainsi que par les rébellions anticolonialistes et les révolutions nationales dans le tiers monde. La tendance a repris après la contre-révolution en Chine (1976) et l’effondrement du social-impérialisme soviétique (1991).

Les grands collectifs ouvriers au sein de l’industrie norvégienne sont considérablement affaiblis, tout comme le poids de la politique syndicale avec eux. C’est la conséquence directe de la tendance à la réduction du nombre de prolétaires au sein de l’industrie depuis quarante ans : en partie parce que la production est exportée vers des « pays à bas coûts » et en partie parce que la production restante est devenue plus automatisée. Dans le même temps, il y a eu une tendance à la hausse de l’emploi dans l’industrie des services, en particulier dans le secteur public – comme la santé. Au cours des quinze à vingt dernières années, on a également eu tendance à se tourner vers les agences pour l’emploi, les emplois temporaires, les postes à temps partiel et le dumping social dans des secteurs entiers.

En 2010, 13% (un huitième) des employés en Norvège étaient des citoyens étrangers, majoritairement originaires d’Europe de l’Est, avec une représentation particulière dans les secteurs de la construction, de l’industriel, du service, et du divertissement. Ces travailleurs gagnent essentiellement beaucoup moins que les travailleurs norvégiens. Une nouvelle loi adoptée en 2000 a rendu plus répandues les agences d’emploi et les sociétés de crédit-bail, ce qui a facilité l’embauche de travailleurs dans des conditions plus difficiles. L’emploi temporaire a considérablement augmenté, en particulier dans le secteur public. Certains travaillent comme employés temporaires dans diverses entreprises pendant des années et il ne s’agit pas seulement du prolétariat. Plus de 200 000 personnes, soit 9% de toutes les personnes employées en Norvège, étaient des employés temporaires en 2016.

Qui sont les prolétaires et combien sont-ils ?

Les prolétaires sont tous ceux qui sont subordonnés, qui ne sont pas libres dans la production, recevant leur part de richesse sous la forme de salaires relativement modérés ou faibles, et ne possédant pas ou n’ayant pas de pouvoir sur les moyens de production. Le groupe le plus important du prolétariat se trouve dans (1) le secteur de la santé et des soins, (2) le secteur de la distribution et des services, (3) le bâtiment et la construction et (4) le secteur industriel. Au total, ces quatre plus grands secteurs emploient plus de 1,5 million de personnes, en majorité des prolétaires.

Au total, il y a 2,5 millions d’employés actifs en Norvège. Il est raisonnable d’estimer que la majorité de ces personnes font partie du prolétariat. Il en va de même pour ceux dont ils s’occupent, principalement leurs enfants. Il y a 1,1 million d’enfants de moins de 18 ans en Norvège. Très peu d’entre eux quittent leur foyer avant l’âge de 18 ans, et bon nombre d’entre eux vivent chez leurs parents pendant quelques années, de sorte que le nombre d’enfants et de jeunes à charge dépasse largement le million. Cela donne entre 1,8 et 2,2 millions de prolétaires employés et leurs enfants.

Il y a près d’un million de retraités, environ 300 000 personnes en situation de handicap, et le taux réel d’emploi peut atteindre 200 000 personnes. Cela donne entre 1,3 et 1,5 million de personnes sous assistance sociale. La majorité de ces personnes ont fait ou feront partiellement ou totalement partie du prolétariat.

Une estimation raisonnable place le nombre de prolétaires norvégiens entre 2 millions au minimum et 4 millions au maximum. Les maoïstes suédois estiment qu’environ 70% de la population suédoise est prolétarienne lors d’une récente réédition d’une étude politique (Oktoberförlaget, 2018). Le RCP-PCR du Parti maoïste canadien estime dans son programme que 65% de la population canadienne fait partie du prolétariat. Si le prolétariat norvégien est comparable à celui de la Suède et du Canada en proportion, il y aurait entre 3,3 et 3,6 millions de personnes dans le prolétariat norvégien. Il est possible qu’il y ait moins de prolétaires en Norvège – la Norvège étant plus riche, son salaire moyen plus élevé, son système de protection sociale plus développé, son capital financier plus important – ce qui se prête à la possibilité d’une plus grande petite bourgeoisie en Norvège. Néanmoins, je voudrais souligner que les camarades canadiens et suédois ont fait des estimations assez précises.

Déterminer correctement la taille du prolétariat en Norvège exige un effort plus approfondi, même s’il est assez sûr de dire que le prolétariat norvégien représente entre 3 et 3,5 millions de personnes, soit entre 60 et 70% de la population norvégienne. Une hypothèse encore plus sûre consisterait à estimer qu’au moins 50% de la population est prolétarienne et que la classe constitue facilement la majorité de la population.

Unité et contradiction au sein du prolétariat

Les prolétaires ont un intérêt politique commun à lutter ensemble contre la bourgeoisie dans la lutte pour les salaires et les droits et, en tant que classe, ils ont intérêt à abolir le capitalisme, l’oppression et les classes dans leur intégralité. C’est-à-dire que le prolétariat a un intérêt politique fondamental commun dans le capitalisme, dans la lutte des classes et dans la voie menant au communisme. Il incite la classe à s’unir en un seul parti politique, le parti communiste et sous une idéologie politique, le maoïsme.

Le prolétariat fera néanmoins l’expérience de la scission. Ils seront en partie divisés par les jeux politiques de la bourgeoisie, par les structures patriarcales et par le chauvinisme religieux et national. Des barrières individuelles de différentes nationalités, langues et cultures sont érigées. Le prolétariat est divisé par la production, par la division du travail et par la contradiction entre ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas. Les couches supérieures du prolétariat ont des salaires relativement élevés, des conditions de travail stables et les personnes de ce niveau peuvent accéder à la direction et peut-être même davantage. Ce sont ceux qui sont le plus influencés par la vision du monde de la bourgeoisie et par la diffusion par la petite bourgeoisie de ce point de vue là, car ils ne sont pas trop éloignés de la petite bourgeoisie. Ils sont également influencés par leur façon de voir le monde car beaucoup dans les couches supérieures du prolétariat viennent souvent de la petite bourgeoisie ou sont eux-mêmes des enfants de petits bourgeois. Ils « visitent » occasionnellement le prolétariat, ils « partent du bas » pour se frayer un chemin et pour financer leurs études ou pour acquérir une certaine expérience en matière d’études supérieures ou d’avancement. Les groupes individuels au sein de la petite bourgeoisie deviennent progressivement prolétarisés et partent souvent de la couche inférieure de la petite bourgeoisie pour se retrouver dans la couche supérieure du prolétariat.

Le noyau du prolétariat

Le noyau du prolétariat comprend les travailleurs à bas salaire qui se situent au bas de la hiérarchie de la production. Ce sont ceux qui sont complètement soumis au travail, qui sont disciplinés par les processus et les heures de travail, qui sont surveillés par les cadres intermédiaires et qui effectuent souvent un travail physiquement exigeant. D’abord et avant tout, ils travaillent avec leurs mains, d’autant plus que les divisions de classes dans le capitalisme vont de pair avec la contradiction entre le travail manuel et le travail intellectuel. Ce dernier type de travail est en règle générale un travail exigeant un enseignement supérieur, un salaire plus élevé et une plus grande liberté et responsabilité personnelle dans le travail quotidien, ce qui les place généralement au sein de la petite bourgeoisie et non du prolétariat.

En outre, le noyau du prolétariat se compose de ceux qui ont les salaires les plus bas et se situent au bas de la hiérarchie de la production dans les secteurs de la santé et des soins, de la distribution et des services, du bâtiment et de la construction, et de l’industrie. Un revenu annuel typique (salaire ou aide sociale) en Norvège se situe entre 300 000 et 400 000 couronnes. La plupart des prolétaires ont quelque part autour de cela ou même moins. Ceux qui ont un emploi à temps plein (100%) peuvent gagner plus de 400 000 et ceux qui sont sans emploi ou sous assistance sociale ont généralement moins de 300 000, et touchent généralement près de 200 000.

Quelques exemples de travail prolétarien à faible revenu sont (en 2016): 1) des assistants agricoles (en moyenne environ 300 000 pour un emploi à temps plein), 2) des serveurs, des barmans et des travailleurs de la restauration rapide (un peu plus de 300 000 en moyenne), 3) les employés de la vente au détail, les nettoyeurs, les jardiniers et les assistants de maternelle (un peu plus de 350 000), 4) les assistants personnels, les ouvriers des usines de textile, les travailleurs de l’industrie alimentaire et les peintres (environ 400 000). Ces groupes figurent parmi les 50 professions les moins rémunérées parmi les 300 principales professions publiées dans Fri Fagbevegelse, sur la base des statistiques fournies par SSB.

Ensemble, les salaires moyens des infirmières étaient un peu plus de 500 000, les conférenciers 550 000 et les ingénieurs civils plus de 700 000.

La relation à la production et aux moyens de production, c’est-à-dire la position dans la production et la société, est plus importante que les salaires, mais les salaires suivent souvent cette position. Des positions plus fortes ou plus élevées mènent, en règle générale, à des salaires plus élevés. Et vice-versa, les salaires inférieurs sont une indication d’une position inférieure. Sur la base des normes de l’UE, le seuil de pauvreté en Norvège se situe autour de 235 000 couronnes par an pour un ménage, ce qui fournit à son tour 600 000 personnes vivant dans la pauvreté en Norvège.

Une estimation très grossière indiquerait que le noyau du prolétariat se situe entre un demi-million et un million de personnes. De grandes parties du noyau sont concentrées dans des appartements situés en banlieue et des bâtiments coopératifs dans les grandes villes.

Le noyau du prolétariat est en quelque sorte placé dans la couche intermédiaire de la classe. Ils se distinguent clairement de la couche supérieure, notamment en ce qui concerne les salaires et le manque de certains privilèges, mais ils se distinguent également de la couche inférieure de la classe. La couche inférieure passe de plus longues périodes en dehors du travail, est dispersée géographiquement ou travaille dans de petites entreprises, travaille dans des entreprises familiales et se trouve dans une journée de travail typique sans collectif du travail. Il y a un potentiel révolutionnaire parmi eux, avec beaucoup de colère et de frustration, mais des degrés d’organisation moins élevés, moins d’unité et moins de capacité d’organisation et de lutte. Ils peuvent aussi souvent avoir des conditions de travail si déplorables et des horaires de travail si défavorables qu’il leur est pratiquement impossible de s’organiser. Mais ils font partie du lumpenproletariat, un groupe qui reste constamment en dehors de la production. Ils sont loin d’être impossibles à organiser pour la lutte, mais ils dépendent beaucoup plus de l’initiative du noyau du prolétariat.

La tâche historique du prolétariat

Le prolétariat, en particulier le noyau du prolétariat, développe spontanément la conscience syndicale et la solidarité ouvrière. Ils adaptent les concepts selon lesquels l’unité et la communauté sont bonnes, ils voient la force au sein du collectif ainsi que le fait que la discipline et l’organisation sont nécessaires. Plus important encore que ces enseignements, est le fait que les prolétaires sont quotidiennement encouragé à travailler ensemble, à contribuer à de plus grands processus, à suivre des instructions, à résoudre des problèmes pratiques et à effectuer des tâches lourdes et routinières. Cela fait du prolétariat la classe la plus forte et la plus robuste.

Le prolétariat est réuni dans de grands collectifs. Même si, dans une large mesure, les énormes entreprises industrielles ont déménagé ou ont été reconstruites dans le tiers monde, les lieux de travail du prolétariat sont encore larges dans beaucoup de secteurs. Même si les collectifs de production sont plus divisés, une mesure délibérée menée par la bourgeoisie, le prolétariat est toujours concentré dans les quartiers prolétariens.

Le prolétariat est exploité par les capitalistes. Ils créent des produits (biens ou services) qui contribuent directement ou indirectement au chiffre d’affaires qui alimente le capitaliste en profit. L’énorme richesse des capitalistes, leurs biens et leurs moyens de production – tout leur capital – provient du prolétariat – que ce soit en Norvège, ou dans d’autres pays. Le travail productif du prolétariat crée une plus-value et c’est ce surplus qui est la source des profits du capitaliste. Ceci est, à son tour, la source de l’accumulation et de la croissance du capital. Sans exploitation, il n’y a pas de capitalisme.

Le prolétariat vit proche de la pauvreté ou directement dans la pauvreté. Le prolétariat, même dans le pays impérialiste le plus riche du monde, n’a généralement plus rien après les dépenses mensuelles de loyer, de nourriture et de transport. Tout cela, malgré le fait que le prolétariat crée toutes les richesses dans une société.

Le prolétariat est porteur du socialisme et du communisme. Ceux qui contrôlent les moyens modernes et les méthodes de production sont ceux qui les utilisent tous les jours. Ils n’ont pas une position privilégiée où ils gagnent directement ou indirectement du travail d’une autre classe. Ils ne sont au-dessus de personne dans la hiérarchie de la société capitaliste, mais sont porteurs du collectivisme, de l’unité, de la solidarité et de l’économie planifiée. Ils sont les porteurs de la solution à la contradiction entre production socialisée et appropriation privée, c’est-à-dire le communisme et son appropriation sociale. Le prolétariat est la classe la plus révolutionnaire, en particulier son noyau.

3. La petite bourgeoisie

La petite bourgeoisie est un ensemble varié de groupes et de couches sociales qui se distinguent à la fois du prolétariat et de la bourgeoisie. La petite bourgeoisie peut être divisée en trois couches, où la couche la plus élevée est proche de la bourgeoisie et où la couche la plus basse se rapproche du prolétariat. Le sommet de la petite bourgeoisie est difficile à séparer de la bourgeoisie, à la fois objectivement, selon leur position et subjectivement, selon leur conscience politique. La couche inférieure est difficile à séparer du prolétariat, car ils peuvent par exemple avoir un revenu inférieur au prolétariat le mieux payé.

La petite bourgeoisie se distingue comme une classe spéciale par sa position relativement médiane selon les critères de Lénine pour l’analyse de classe. La petite bourgeoisie norvégienne est divisée en trois groupes ou parties principaux: 1) la petite bourgeoisie dans l’agriculture et la pêche, 2) la petite bourgeoisie dans le commerce et l’artisanat, 3) l’intelligentsia, les académiciens et les fonctionnaires.

La petite bourgeoisie dans l’agriculture et la pêche

Selon la SSB[2], au début du XXe siècle, 38% des personnes employées dans le pays, soit 370 000 personnes, travaillaient dans l’agriculture. Aujourd’hui, ce secteur emploie directement moins de 2% de tous les salariés. C’est-à-dire que les personnes qui travaillent dans l’agriculture et la pêche constituaient le groupe d’emplois le plus important il y a environ un siècle, mais qu’elles sont actuellement moins de 50 000. Pourtant, indirectement, le secteur emploie encore plus de personnes et un certain nombre de groupes sont directement liés au « secteur primaire ». Presque tous ceux qui vivent dans les zones rurales dépendent indirectement de telles entreprises.

Voici où m’on peut trouver les classes moyennes traditionnelles de la Norvège rurale, les agriculteurs indépendants. Les paysans, les locataires terriens et les groupes similaires ont plus ou moins disparu. Les fermiers sont, dans une large mesure, propriétaires de petites entreprises qui ont beaucoup en commun avec la petite bourgeoisie dans le commerce et l’artisanat. Ils ont souvent des dettes importantes pour financer le capital et ont de faibles marges de profit. Ils doivent travailler dur pour faire fonctionner leurs fermes. Ici aussi, on trouvera des pêcheurs qui possèdent leurs propres bateaux, et d’autres personnes similaires.

Cette partie de la petite bourgeoisie doit souvent effectuer un travail manuel lourd et, en règle générale, elle travaille étroitement avec la nature et les machines. Ils entretiennent une forte déception et une méfiance vis-à-vis de l’État et du capital monopoliste. Les couches supérieures sont plus proches des autres propriétaires d’entreprise. Ils emploient des substituts et d’autres employés et ont un certain nombre d’intérêts et de points de vue communs avec la bourgeoisie. La couche inférieure a du mal à subvenir à ses besoins et est constamment menacée de faillite et de prolétarisation.

Pendant longtemps, cette partie de la petite bourgeoisie était l’allié le plus proche du prolétariat. Ils étaient ceux qui se tenaient le plus près du prolétariat, ce qui a été confirmé par le fait que cette partie de la petite bourgeoisie a été réduite au maximum par le développement social des cinquante dernières années. Cependant, il y a eu aussi de forts courants réactionnaires dans cette couche, caractérisés par le chauvinisme religieux et national et le scepticisme envers le mouvement syndical.

La composition politique de la plus haute couche de ce groupe est la base la plus importante de Senterpartiet [Parti du Centre]. Ils dominent l’appareil politique de la petite bourgeoisie rurale du « district-Norvège ». Entre les organisations d’agriculteurs et les coopératives, ils ont beaucoup de pouvoir et ils constituent une force politique beaucoup plus forte que ne le suggèrent leurs chiffres. Cela s’est manifesté, par exemple, dans la lutte de l’UE en 1994. Il existe de fortes contradictions entre eux et les détaillants, l’État et le capital bancaire, ce qui entraîne des conflits réguliers. Ils n’aiment pas le capital monopoliste et ont un certain nombre d’intérêts communs avec le prolétariat.

Stratégiquement, l’objectif est que le prolétariat détache les couches les plus basses de la petite bourgeoisie rurale du domaine politique des couches supérieures, ce qui peut être fait si l’on insiste sur les intérêts communs du prolétariat et des agriculteurs et pêcheurs : l’utilisation de toutes les terres du pays, l’augmentation de la production agricole, et l’inversion de la centralisation capitaliste de l’établissement et de l’emploi.

La petite bourgeoisie dans le commerce et l’artisanat

Les propriétaires de petites entreprises, de petites firmes, les artisans avec peu ou pas d’employés, les propriétaires uniques, etc., constituent cette partie de la petite bourgeoisie. Ils exploitent peu d’autres personnes et ils ne peuvent pas vivre d’une telle exploitation, bien qu’ils fassent généralement de cela leur objectif. Ils souhaitent devenir de plus grands capitalistes. Ils sont politiquement plus proches de la bourgeoisie que, par exemple, de la petite bourgeoisie dans l’agriculture. Ils sont souvent organisés politiquement et socialement avec la bourgeoisie.

Cette partie de la petite bourgeoisie a des contradictions avec l’État et le capital monopoliste d’État. Ils sont plus étroitement liés à la bourgeoisie dans le commerce de détail, mais ils ont aussi des contradictions avec eux quand ils sont en concurrence et sont régulièrement menacés d’être écrasés par la bourgeoisie monopoliste. Formant une contreréaction, on peut généralement les trouver comme des soutiens sociaux aux partis réactionnaires, comme Fremskrittspartiet [Parti du progrès, ci-après FrP], et peut-être Senterpartiet. Ils veulent mettre un terme au développement ou le réduire, car la tendance à la monopolisation et au corporatisme constitue une menace pour leurs petites entreprises. Ils peuvent facilement tomber pour le populisme de droite et les démagogues, généralement des célébrités riches qui attaquent « l’élite », comme Silvio Berlusconi en Italie et Donald Trump aux États-Unis. Certains d’entre eux peuvent également se joindre à des partis plus libéraux, comme Venstre, à des partis de valeurs conservatrices comme Kristlig Folkeparti [Parti démocrate-chrétien, ci-après KrF] ou, dans des circonstances « normales », à Høyre.

En temps de crise, ce groupe de la petite bourgeoisie et les agriculteurs de niveau intermédiaire ont constitué le noyau de la base électorale des partis réactionnaires et fascistes, comme le NSDAP allemand. Ce n’est pas un hasard si les partis du centre bourgeois et libéral ont été presque complètement éliminés par le NSDAP lors des élections allemandes qui ont mené à la prise de pouvoir de Hitler. Cela rappelle également ce que Marx et Engels appellent le « socialisme réactionnaire » auquel ils consacrent une section dans le Manifeste communiste.

Cette partie de la petite bourgeoisie a tendance à posséder des valeurs telles que les libertés individuelles, les élections libres, les carrières, la mentalité « bootstrap » et « le triomphe de la volonté ». Cela contribue à leur scepticisme et à leur animosité directe envers le communisme et le mouvement prolétarien. D’autre part, les niveaux inférieurs feront souvent l’expérience de la lutte avec persistance pour survivre. Ils subissent les menaces du capital monopoliste, des pressions fiscales exercées par l’État de ce capital monopoliste, des obstacles au paiement des loyers aux spéculateurs immobiliers, et des dettes envers la banque. Ils percevront souvent la « mondialisation », les « acteurs peu sérieux », les agences de placement et d’autres expressions de la tendance du capitalisme aux marchés mondiaux et à la monopolisation comme des menaces. Il y en a aussi beaucoup dans cette couche qui vivent le racisme et qui ont un passé en lien avec le tiers monde qui en fait des ennemis de l’impérialisme, en particulier de l’impérialisme états-unien.

La couche inférieure se voit rapidement partager des intérêts communs avec le prolétariat, du moins parce qu’ils ont un ennemi commun. Pourtant, les couches moyennes et supérieures se déplaceront rapidement vers les directions les plus réactionnaires et deviendront donc un défi ; il peut être nécessaire de les neutraliser politiquement au lieu d’essayer de les gagner aux côtés du prolétariat.

Une méthode que le prolétariat peut utiliser avec ces groupes est de faire preuve de force et de pouvoir. Ce sont des qualités que ces groupes ont particulièrement tendance à respecter. Un prolétariat fort, bien organisé et prêt à se battre dans la pratique, peut gagner le niveau le plus bas et même une partie de la couche intermédiaire de ce groupe – et peut-être, ce qui est tout aussi important, effrayer les éléments plus réactionnaires et les rendre passifs.

L’intelligentsia, les académiciens, et les fonctionnaires petit-bourgeois

L’intelligentsia n’est pas une classe à proprement parler, mais une couche née de la division historique entre travail manuel et travail intellectuel. Ses représentants ont toujours été fortement liés aux classes dirigeantes et aux oppresseurs et ont eu pour tâche de servir ces groupes de différentes manières. Les fonctionnaires sont les techniciens, les spécialistes, les cadres intermédiaires et les hommes de main des États, des monopoles et des capitalistes non monopolistes. Dans les pays capitalistes modernes, ils ont constitué le groupe à la croissance la plus rapide en dehors de la classe ouvrière moderne.

La petite bourgeoisie est le principal soutien social de la dictature de la bourgeoisie, et cela s’applique avant tout aux fonctionnaires et à l’intelligentsia. De tous les groupes extérieurs à la bourgeoisie, ils sont les plus fidèles aux lois et à la justice bourgeoises, à l’État bourgeois et ce sont ceux qui diffusent le plus largement la pensée de la bourgeoisie dans la société.

La principale caractéristique de ces groupes dans la petite bourgeoisie est qu’ils exercent un travail intellectuel et qu’ils vivent de leurs propres ressources intellectuelles et de leurs connaissances. Les membres de la couche supérieure deviendront des professeurs et des juges et pourront éventuellement faire partie de la bourgeoisie. Le niveau le plus bas repose sur des emplois occasionnels, des postes temporaires et le financement de projets, ce qui leur procure un revenu inférieur à la moyenne de la classe ouvrière; en retour, ils ont une certaine liberté pour déterminer leur propre journée de travail.

Ils oscillent entre deux extrêmes : ils peuvent avoir une vue d’ensemble générale qui les rend superflus et dogmatiques, ou bien ils peuvent être très spécialisés et se concentrer sur un domaine, ce qui les rend unilatéraux et empiriques. Ces deux formes de pensée s’opposent à la méthode prolétarienne, dialectique et matérialiste. Les révolutions technologiques et scientifiques ont permis à cette partie de la petite bourgeoisie d’atteindre des perspectives très profondes et multiformes, mais sans les outils du marxisme pour trier les perceptions et comprendre cette information du point de vue du prolétariat, le monde et la société deviennent tout à fait écrasants pour elle. Par conséquent, ces gens là se saisiront souvent, comme d’autres parties de la petite bourgeoisie, des « systèmes » simples et des explications telles que les théories du complot, des points de vue unilatéraux sur la biologie, sur la culture, etc. Ils favoriseront souvent la conviction que « le voyage est plus important que la destination », la manière dont les éducateurs modernes peuvent se concentrer sur les méthodes plutôt que sur ce qu’ils souhaitent réaliser.

Lorsque le radicalisme fait irruption dans ces couches, il est souvent lié aux modes de vie ou aux méthodologies plutôt que de proposer un objectif pour le développement de la société. En voici quelques exemples : le pacifisme en tant que fin en soi, les tendances à la mode alternative, aux habitudes sexuelles ou alimentaires différentes, divers types de musique ou de formes d’art rebelles.

Le prolétariat et les communistes peuvent bien sûr trouver beaucoup de bons alliés et serviteurs parmi ce groupe. Comme d’autres, ils sont généralement bien intentionnés et peuvent être convaincus de rejoindre le bon côté de l’Histoire, à la fois dans les questions individuelles et dans la lutte stratégique. À certaines périodes de l’Histoire, le marxisme a traversé les universités occidentales, en particulier à la suite des guerres de libération anticoloniales, des mouvements anti-guerre, de la révolution culturelle et de la reprise de la lutte des classes dans les années 60 et 70. Historiquement, le socialisme a été livré au prolétariat par des intellectuels qui, grâce au travail théorique, ont acquis la conscience socialiste. Mais aujourd’hui, ces groupes sont dominés par les idéologies de la petite bourgeoisie, la politique identitaire, le libéralisme, l’opportunisme et le réformisme.

Il est en outre important que le prolétariat ou les communistes n’acceptent pas un chef petit bourgeois pour leur mouvement. Là où les petits bourgeois – en particulier les intellectuels – participent, ils cherchent souvent à faire la chose la plus naturelle au monde : dominer ou faire les choses à leur manière. Ces groupes sont nés de la contradiction entre le travail manuel et le travail intellectuel, et ils se verront donc comme des leaders naturels dans tout ce qui ressemble à l’éducation et à d’autres formes de travail intellectuel. Les petites orientations et les idéologies bourgeoises ont souvent gagné l’hégémonie au sein des organisations et des groupes de gauche et les ont, soit directement éloignées du marxisme, ou les ont poussés vers des interprétations superflues, mécaniques ou idéalistes du marxisme.

Cette partie de la petite bourgeoisie soutiendra souvent d’autres groupes dans le commerce et l’artisanat. Ces deux ailes de la petite bourgeoisie ont aujourd’hui un point de vue très différent sur l’État et sur les questions politiques des aides sociales et des impôts. Ils peuvent même avoir des contradictions encore plus grandes avec les prétendues « questions globales », comme leurs opinions sur le féminisme, sur les questions de vues libérales versus conservatrices, la religion, l’immigration, etc. Cette partie de la petite bourgeoisie se joint principalement à AP ou à Sosialistisk Venstreparti [Parti de la gauche socialiste, ci-après appelé SV]. Cela est en lien avec les performances que ces partis donnent en matière d’aide sociale et d’éducation, des entreprises où la majorité de cette aile de la petite bourgeoisie est employée. Ils croient rejoindre ces partis pour « le bien de la communauté ». Apparemment, le « bien de la communauté » signifie donner aux universitaires et aux fonctionnaires de meilleurs salaires, de meilleurs contrats, plus de liberté et plus de pouvoir …

4. D’autres groupes et couches sociales

Il existe également de petits groupes de personnes qui se situent partiellement ou totalement en dehors des trois classes décrites précédemment, les dépassent ou, pour d’autres raisons, nécessitent une attention particulière. Auparavant, le semi-prolétariat était un exemple d’un tel groupe. Ses membres représentaient une grande partie de ceux qui travaillaient dans l’agriculture. Ils étaient principalement employés par des agriculteurs et des pêcheurs qui devaient travailler dans un autre endroit pendant une partie de l’année pour gagner leur vie. Ce groupe a plus ou moins disparu aujourd’hui.

La structure des classes en Norvège s’est considérablement simplifiée au siècle dernier, car les classes précapitalistes ont été effacées, puisque presque tous les adultes exercent une profession, en contraste au grand nombre de « ménagers » des périodes précédentes, et également parce que presque tous ces groupes ont été absorbés dans ces trois classes principales. Cette simplification est conforme à la tendance principale dans le développement de la structure de classe capitaliste consistant à concentrer de plus en plus les individus en deux classes principales, deux camps belligérants opposés, comme Marx et Engels l’ont décrit dans le Manifeste communiste.

Il existe aussi des tendances à la contre-partie, par exemple la création de nouvelles « couches intermédiaires », de nouveaux groupes de petits bourgeois, avant tout dans le développement de nouveaux types de production. Un exemple en est la prétendue révolution informatique des années 90. D’autres exemples incluent : la tendance de l’impérialisme à l’achat de parts des travailleurs dans les pays impérialistes, la tendance à la division d’anciens collectifs et des structures, et la tendance qui consiste à ce qu’une partie de la population se retrouve complètement en dehors de la production et de la société.

L’aristocratie du travail

Une aristocratie ouvrière s’est formée au sein des couches supérieures du prolétariat. La base de cela est l’impérialisme, ainsi que leur part dans le butin du pillage et de l’exploitation impérialistes. Le noyau de ce groupe se situe au sein des industries ayant les plus gros revenus et dans les bureaucraties des représentants des syndicats et des coopératives. Certains de ces aristocrates appartiennent à la petite bourgeoisie et d’autres peuvent même appartenir à la bourgeoisie, comme le chef de LO [le syndicat national]. L’impérialisme et le chauvinisme ont là des partisans importants, et le chauvinisme se répandra souvent de ce point de départ à des parties du prolétariat. L’aristocratie ouvrière, en particulier ceux qui sont au sommet, forme une couche qui adhère à l’AP et constitue une grande partie de l’appareil du parti. SV et Rødt [le Parti rouge] comptent un certain nombre de membres de ce groupe, mais ils sont encore très peu nombreux.

La police et les militaires professionnels

L’appareil de violence constitue le noyau de l’État. L’armée norvégienne est aujourd’hui une armée de volontaires et seuls 10% des conscrits pourront être recrutés. Historiquement, tant en Norvège que dans les autres pays capitalistes occidentaux, les armées et les responsables professionnels se sont orientés politiquement vers ceux qui détiennent pouvoir, leurs partis et généralement les plus réactionnaires et les plus corporatistes. Pendant l’occupation allemande de la Norvège, le corps des officiers a révélé ses nombreux sympathisants nazis. L’appareil de violence est extrêmement important pour la bourgeoisie et il est donc très important pour eux d’encourager les idéologies réactionnaires parmi ceux qui le composent.

La police, à l’instar de l’armée, recherchera la politique des partis du pouvoir et s’identifiera fortement avec l’État, en premier lieu avec l’État formel sous la forme de lois et de symboles. Les policiers sont souvent mécontents du véritable État sous la forme de sa bureaucratie et de ses politiciens, car ils souhaitent souvent davantage de moyens et de liberté. Ils constituent une opportunité pour le système d’exercer la violence juridique et cette violence est souvent exercée contre les pauvres, contre la jeunesse prolétarienne, contre les toxicomanes et contre les malades mentaux. Ils exerce également leur violence contre l’opposition politique, les manifestants et les grévistes, généralement sous la forme de surveillance politique et de harcèlement.

L’armée, la police et les prisons constituent les moyens de pouvoir les plus importants de l’ennemi. Ils forment le noyau de l’État. L’appareil de violence est le fondement de la totalité du pouvoir politique de la bourgeoisie. Ceux qui composent ces institutions ne sont donc clairement pas des acteurs neutres. Et ils se distinguent de la plupart des petits bourgeois. Ils se trouvent dans une position particulière contre la révolution.

Le lumpenproletariat

Le lumpenproletariat est avant tout constitué de toxicomanes, de mendiants, de prostituées de rue et de criminels qui sont totalement exclus de la production et de l’organisation sociale du travail. Idéologiquement, ils ont plus en commun avec les couches inférieures de la petite bourgeoisie qu’avec le prolétariat, car l’individualisme et l’intérêt personnel anti-social sont des valeurs fortement ancrées dans cette couche. Ils se sont également historiquement mobilisés pour la réaction, par exemple en tant qu’assassins et mercenaires. Cette couche sociale est souvent une responsabilité, en particulier pour le prolétariat qui partage généralement des quartiers avec le lumpenprolétariat. Leur criminalité, leur trafic de drogue, leur vol et leurs actions similaires se font généralement au détriment du prolétariat.

Pendant ce temps, la haine envers le système est forte au sein de ce groupe et, en raison de leurs expériences personnelles, il est plus facile pour ce groupe de comprendre que le capitalisme et l’État sont leurs ennemis. Le lumpenproletariat est souvent exploité par les riches criminels, qui les oppriment, les piétinent, leur vendent de la drogue, vendent leurs corps et les soumettent avec une grave violence. L’organisation du lumpenproletariat se limite généralement à des bandes et autres groupes informels qui s’exploitent ou se soutiennent partiellement les uns les autres.

[1] Parti Communiste Ouvrier (Marxiste-Léniniste)

[2] Bureau central des statistiques de Norvège