Réponse à certaines conceptions fausses concernant les élections

Durant la période des élections présidentielles françaises de 2017, deux lignes politiques claires ont émergé dans le « camp révolutionnaire » :

  • La première considérant qu’il était nécessaire de construire un mouvement populaire, antifasciste, autonome vis-à-vis du système parlementaire. Selon cette ligne, qui s’est développée notamment lors du mouvement contre la Loi Travail, il était hors de question de cautionner d’une façon ou d’une autre le PS et ses successeurs. Cette ligne considérait que l’opposition au Front National passait par le développement d’un antifascisme de terrain, et non pas par un vote pour un ancien ministre, ex banquier, qui était une des personnes les plus détestées du dernier gouvernement, et qui défendait des positions chauvines et ultralibérales. Les groupes d’action antifasciste, les communistes maoïstes, les autonomes et divers collectifs ont défendu cette ligne en appelant à l’abstention, au vote blanc, au boycott.

  • La seconde ligne se retrouvant dans les conceptions de la gauche réformiste (PS, PCF, et un courant important de la France insoumise), a appelé comme eux à voter pour « faire barrage au Front National ». Il s’agissait d’une conception morale de l’antifascisme, qui correspondrait à une attitude individuelle (le vote de résistance ou l’abstentionnisme complice), coupée du mouvement réel des masses. Cette ligne a été portée par certains groupes postmodernes, par une partie du mouvement syndical, par quelques libertaires minoritaires et aussi par certaines personnes se revendiquant du communisme.

Nous allons analyser ici les propositions de ces dernières, en prenant comme exemple un article du blog « les matérialistes » qui appelait à voter pour Emmanuel Macron.

En tant que communistes, nous ciblons des idées et non des personnes : pour nous, porter la contradiction, amener le débat, argumenter, permet de faire émerger une ligne rouge, une ligne juste. Il nous semble donc utile de répondre point par point à certaines conceptions fausses. Voilà pour notre démarche.

Commençons par une remarque de fond : l’article des « matérialistes » contredit dès son introduction d’autres articles publiés sur le même site. Tout d’abord en considérant que Marine Le Pen a perdu (ce qui est faux en termes de dynamique politique, et qui contredit l’affirmation selon laquelle la marche vers le fascisme serait inévitable, la France « entrant dans les années 30 »). Ensuite, en considérant qu’une mobilisation massive des masses de culture arabe et juive a eu lieu dans le vote (ce qui n’est pas prouvé, au contraire). Enfin, en considérant qu’il est possible de voter pour Emmanuel Macron sans le soutenir, ce qui n’a aucun sens ! Jugeons plutôt :

« Cela n’a donc rien à voir avec un soutien à Emmanuel Macron » […] « Malgré cela, il était nécessaire de soutenir Emmanuel Macron contre Marine Le Pen ». La contradiction est évidente, c’est une position incompréhensible pour les masses, chez qui l’abstention et le vote blanc sont deux tendances lourdes.

Notons que dans les quartiers prolétaires, l’écart en matière de participation avec les quartiers favorisés des centres-villes n’a cessé d’augmenter, passant de 5 points à 10, puis à 20 en 2017. Sans même parler des personnes non-inscrites sur les listes électorales. Il y a donc un rejet du vote chez les prolétaires, accompagnés d’une mobilisation de plus en plus forte dans la petite bourgeoisie et la grande bourgeoisie, donnant l’impression d’une abstention « stable ». En termes de classe : la position du boycott correspond à une aspiration croissante chez les prolétaires ; la position de la participation « morale » correspond à une position suiviste bourgeoise.

Passons rapidement sur la partie présentant la gauche française comme ravagée par le postmodernisme libéral (camp ayant pourtant défendu le « vote Macron ») et le syndicalisme façon PCF (dont s’inspirent pourtant les « matérialistes »), deux tendances profondément opposées. Passons sur l’affirmation selon laquelle le vote FN serait lié à une défense de la nature et des animaux, ce qui est contredit par les enquêtes d’opinion sur les raisons du vote FN, liées à des logiques de frustration, due au déclassement. C’est regrettable, mais aujourd’hui les questions écologiques sont quasiment absentes du débat politique et des préoccupations des masses. Passons enfin rapidement sur l’illustration de l’article par un dessin puant de Plantu, qui comparait récemment les grèves au fondamentalisme islamique et présentait la police comme victime de l’islamisation de la société. Nous allons maintenant voir que ce qui sous-tend l’antifascisme moral des « matérialistes », c’est une conception profondément social-chauvine, dans la droite ligne du PCF révisionniste (dont le site reprend d’ailleurs le symbole), idéaliste et niant le racisme.

L’article des « matérialistes » propose dix points que « la gauche devrait assumer » :

  • Appeler à voter pour Emmanuel Macron était une stratégie juste. C’est totalement faux ! L’audience des révolutionnaires étant faible en France, leur poids n’aurait pas changé notablement le résultat de l’élection présidentielle, lui donnant simplement plus de légitimité – et renforçant donc la tendance à la guerre, à la restructuration de l’économie capitaliste à nos dépends. De plus, cet appel au vote a une autre conséquence désastreuse : brouiller les cartes, en laissant imaginer aux prolétaires que l’antifascisme passe principalement par le vote, que les révolutionnaires appuient (même à minima) le futur gouvernement, bref, en démobilisant et en démoralisant.

  • Seconde proposition : « le mouvement « Je suis Charlie », totalement oublié à Gauche, doit voir un musée lui être consacré Place de la République à Paris ». Au-delà du ridicule absolu de cette suggestion, qui nous rappelle la proclamation de « ministères du futur état socialiste » par ce groupe, ce genre de proposition délirante est typique des démarches sectaires : plus l’audience d’un groupe (et donc, son pouvoir d’influence sur la réalité matérielle) se réduit, plus celui-ci va se complaire dans des déclarations grandiloquentes : proclamation d’une république indépendante, déclarations de guerre, fondation d’une Internationale…

  • Propositions suivantes : « la France est née au XVIe siècle seulement avec François Ier et a été défini par le classicisme ; l’humanisme et les Lumières ont été des démarches progressistes universelles ; les huit guerres de religion contre le calvinisme doivent particulièrement être prises en compte ». On nage ici en plein roman national, dans une vision bourgeoisie de l’Histoire, aussi appelée « Histoire bataille » : celle-ci serait due aux grands hommes et aux évènements marquants (guerres, découvertes, publications…) et non aux masses, à la lutte des classes. C’est une conception profondément antimarxiste.

  • Pire, dans la situation actuelle, il ne s’agit de rien de moins que d’une ouverture opportuniste vers la réaction, niant les massacres des guerres de colonisation menées au nom des Lumières et de leur contenu universel, pour « civiliser ». La France n’est pas « née », tout marxiste sait qu’il s’agit d’une superstructure produite par la domination de l’aristocratie puis de la bourgeoisie dans le cadre de la lutte des classes, et dont le contenu nie notamment les aspirations des peuples et minorités nationales constituant la « France ».

  • « La destruction de l’environnement doit être analysée comme une catastrophe morale et comme expression du caractère erroné de l’anthropocentrisme » : C’est, là encore, une position totalement idéaliste. La « morale » n’existe pas de manière naturelle, et la question de l’écocide est une question liée au mode de production capitaliste : ce sont les faits qui produisent les idées, alors que cet article dit l’inverse. Il n’y a qu’une seule façon de gagner les masses à la question environnementale : c’est de travailler à la révolution, pour les mobiliser dans la perspective d’une économie planifiée, gérée démocratiquement, qui pourrait subvenir aux besoins de l’humanité sur le long terme au lieu de produire sa destruction. Il s’agit de besoins objectifs liées à la survie, et non pas de conceptions morales.

  • « Les grands monopoles doivent être présentés comme l’ennemi principal et la base du fascisme et de la tendance à la guerre » : cette conception est directement issue des thèses erronées du PCF dans sa période révisionniste. Celui-ci a articulé son discours chauvin sur la dénonciation des « monopoles » (et des « cent familles », des « banques », des « gros », des « capitalistes yankees », etc) : bref, tout un ensemble de termes pour sortir d’une analyse de classe ciblant la bourgeoisie dans son ensemble, et constituer une pseudo unité nationale. Ce genre de conception erronée est directement lié aux analyses nationalistes-révolutionnaires d’un capitalisme extérieur à la nation, intangible et distant. Ajoutons que les « matérialistes » attaquent les conceptions « cosmopolites », terme ayant son origine historique dans la formation d’un courant antisémite en URSS dans la période post-1945. Les personnes défendant de telles conceptions ne peuvent pas avoir de conceptions justes concernant l’antifascisme, puisqu’elles sont-elles mêmes contaminées par des conceptions fascisantes.

Pour conclure, rappelons qu’il y a deux grandes périodes dans l’histoire de l’antifascisme, liées à l’histoire allemande : l’une, entre 1921 et 1945, correspond au fascisme historique, lors duquel le mouvement ouvrier affronte sur tous les terrains le fascisme et le nazisme. Les communistes allemands en particulier combattent le fascisme dans les rues, dans les usines, et dans les urnes, en soutenant les candidats du KPD. A-t-on jamais vu la Ligue des Combattants du Front Rouge ou l’Action Antifasciste appeler à voter pour la grande bourgeoisie contre le nazisme ? Non, bien sûr.

La seconde période s’ouvre à la fin des années 70, lorsque le mouvement anti-impérialiste allemand accouche d’une nouvelle Action Antifasciste pour faire face à la montée du nationalisme. Il n’y a alors plus de parti marxiste de masse pour lequel voter. Cette nouvelle Action Antifasciste liée au mouvement autonome produira une réflexion importante, qui aboutira à différentes stratégies de confrontation, mais certainement pas à un vote pour les libéraux, là non plus.

Le mouvement « antifa » actuel en France est l’héritier de cette seconde période, il est dans sa continuité directe. Aujourd’hui, être antifasciste, c’est appuyer l’autonomie de classe, c’est appuyer la formation d’un front des organisations populaires progressistes et révolutionnaires, c’est produire une réflexion en rupture avec le parlementarisme, c’est confronter l’extrême droite et ses soutiens partout où ils apparaissent. En un mot, c’est combattre pour la révolution, sans aucun compromis avec la politique bourgeoise.

Les courants politiques bourgeois ne sont pas opposés au fascisme, ils le nourrissent et le portent au pouvoir !

Pour Redspark, un camarade maoïste